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Olivier Hubert

Professeur à l’ENS Paris-Saclay, Olivier Hubert est responsable de l’unité de recherche «Couplages multiphysiques». Il développe des modèles de comportements pour les milieux à changement de phases dont font partie les alliages à mémoire de forme. Il est aussi responsable des moyens microscopiques du centre d’essais du LMT-Cachan et président de l’association française de mécanique des matériaux, MECAMAT.

 

Mémoires d’une modélisation à toutes les échelles

Pour la première fois, des chercheurs de l’ENS Paris-Saclay donnent les principes d’une modélisation multi-échelle unifiée d’alliages à mémoire de forme magnétiques, des matériaux qui font état d’une physique complexe avec des couplages entre comportements thermiques, mécaniques et électromagnétiques.

Les alliages à mémoire de forme (AMF) sont des matériaux métalliques qui se «souviennent» de leur forme d’origine. Ils sont habituellement utilisés comme détecteurs miniatures, actionneurs ou pièces de maintien dans des applications robotiques, spatiales ou médicales. Ces matériaux peuvent alors changer de forme ou de raideur (générant un déplacement), modifier leur fréquence propre ou d’autres caractéristiques mécaniques en réponse à une variation de température par exemple. Mais ils reviennent à leur état d’origine si besoin (en général à haute température).

Cette propriété surprenante est liée à des changements de structure à l’échelle atomique. L’alliage possède au minimum deux structures ou phases cristallines distinctes, selon la température ou les contraintes qui lui sont appliquées. Sa forme est donnée à haute température, à l’état austénitique. À l’état martensite à basse température, des déformations irréversibles de grande amplitude peuvent être produites. Revenir à l’état austénitique permet un retour à la forme initiale.

Les structures cristallines sont en effet différentes. Par exemple, si l’état austénitique a une symétrie cubique, trois structures tétragonales martensitiques différentes peuvent se former à volume constant, selon l’axe qui se contracte. Ces structures possibles sont appelées «variantes». La phase martensite peut être décrite par la fraction volumique de ses variantes.

Une déformation macroscopique est donc associée à une transformation à l’échelle du cristal unique quand on observe un déséquilibre entre variantes. Une approche micro-macro est nécessaire pour modéliser
l’influence d’un chargement thermique ou mécanique sur l’alliage polycristallin. De plus, dans le cas des alliages à mémoire de forme magnétiques (AMFM), l’application d’un champ magnétique permet aussi de provoquer une déformation macroscopique.

En effet, le champ magnétique réoriente les variantes, c’est-à-dire qu’une variante peut se transformer en l’une des deux autres, ce qui crée un déséquilibre entre variantes. Cette réorientation ne s’engage généralement qu’une fois qu’un des domaines magnétiques dont la variante est constituée a clairement pris le dessus sur le deuxième par mouvement de paroi magnétique. La déformation correspondante peut atteindre 12 % dans les monocristaux mais n’implique aucun échange de chaleur. Les AMFM peuvent donc être utilisés à des fréquences bien plus élevées que les AMF classiques.

Une séparation en quatre échelles a été nécessaire pour modéliser l’ensemble des mécanismes impliqués dans le comportement des AMFM. D’abord, l’échelle du domaine magnétique à l’intérieur d’une variante : à cette échelle, les propriétés thermiques, mécaniques et magnétiques peuvent être considérées comme homogènes. À l’échelle suivante de la variante, seules les quantités mécaniques et thermiques sont supposées homogènes. Chaque variante étant constituée de domaines magnétiques différents, les quantités magnétiques ne sont plus uniformes. La troisième échelle est celle du grain ou cristal, considéré comme un assemblage de variantes. L’échelle polycristalline constitue la quatrième et dernière échelle : c’est le volume élémentaire représentatif (VER) du matériau. La plupart des paramètres du modèle sont des paramètres physiques qui peuvent être trouvés dans la littérature ou identifiés via quelques expériences.

Les chargements macroscopiques sont la température, la contrainte mécanique et le champ magnétique. La température est uniforme sur les quatre échelles mais chacun des autres chargements doit être «localisé» à l’échelle pertinente, chaque réponse locale influençant le chargement à l’échelle supérieure. La contrainte à l’échelle d’un unique cristal est ainsi fonction de la contrainte macroscopique, de la déformation macroscopique et de la déformation locale. De même, le champ magnétique à l’échelle du cristal peut être déduit du champ magnétique macroscopique, de l’aimantation à l’échelle du grain et de l’aimantation macroscopique. Une séparation nette entre les échelles du grain et du VER est indispensable pour appliquer une telle procédure d’homogénéisation.

L’algorithme est rapide. La déformation et l’aimantation d’un cristal peuvent être calculées sur un cycle de chargement en moins d’une minute sur un ordinateur de bureau. Pour illustrer les principes d’une modélisation unifiée multi-échelle de ces matériaux, les chercheurs de l’ENS Paris-Saclay ont travaillé sur un alliage , c’est-à-dire composé de nickel, manganèse et gallium. Ce matériau présente des températures de transition pratiques pour l’expérimentation : la transformation austénite /martensite a lieu à 45 °C, la transformation inverse à 54.9 °C.

Le modèle est en bon accord avec les résultats expérimentaux. Même si les scientifiques n’ont pour l’instant considéré qu’un unique cristal pour la validation expérimentale, ce modèle est capable de représenter le couplage thermo-magnéto-mécanique de multicristaux sous contrainte, y compris multiaxiale. Pour aller plus loin, les chercheurs de l’ENS Paris-Saclay ont l’intention d’étendre leur modèle, développé dans un cadre réversible, aux phénomènes irréversibles et de proposer des expériences de validation quantitative via des mesures de déformation sous champ magnétique ou sous contrainte biaxiale.

Publication : M. Fall et al. A, Multiscale Modeling of Magnetic Shape Memory Alloys: Application to NiMn-Ga Single Crystal, Transactions on Magnetics. Vol 52. Num 5. Pages 1-4. 2016