Conjuguer économie et environnement avec Natacha Raffin

Photo de Natacha Raffin
Natacha Raffin a intégré l’ENS Paris-Saclay en 2022 en tant que professeure en sciences économiques au Centre d’économie Paris-Sacaly (CEPS). Ses recherches sont centrées autour de la croissance économique et de l’environnement, et leurs implications sur la santé.

Interview

Quel est votre parcours ?

J’ai soutenu ma thèse à l’Université Paris 1 et à la Paris School of economics, sous la direction de Kathline Schubert (Université Paris 1, Paris School of Economics). Mon sujet de thèse était « Environment, heath, education: A challenge for economic development ? ».
J’ai ensuite exercé en tant que maître de conférences à Paris Nanterre, au sein du laboratoire EconomiX, avant d’intégrer l’Université Rouen Normandie en tant que professeure de 2016 à 2022.

Sur quoi portent vos recherches ?

Je m’intéresse aux questions de croissance de long terme, en lien avec une dimension environnementale.
J’ai choisi d’aborder l’environnement d’un point de vue économique, de le définir et le mesurer avec des outils d’économiste, pour ensuite établir des modèles de croissance et analyser les dynamiques et interactions entre économie et environnement et leurs conséquences.  J’ai mis l’accent sur un canal particulier de transmission entre ces trajectoires long terme, celui de la santé. 
Comprendre les dynamiques de l’environnement et de l’économie revient à se poser la question de la compatibilité entre les deux. Comment peut-on continuer à s’enrichir, à croître, tout en maintenant une bonne qualité environnementale ? Est-ce faisable ? Pourquoi certains pays y arriveraient plus rapidement que d’autres ? Ce sont toutes ces questions qui structurent mes recherches. J’étudie les choix qui sont faits, les conditions qui nous conduisent à avoir des trajectoires différentes. Si les conditions économiques ne permettent pas de se développer durablement, entrainant des conditions environnementales davantage dégradées, cela entraine des effets indésirables sur la santé, et l’économie se trouve enfermée dans ce que j’appelle une « trappe à pauvreté environnementale ». Je m’intéresse aux choix des individus, choix qui affectent l’économie et conjointement l’environnement, pour étudier dans quelle mesure ils peuvent créer des cercles vertueux ou vicieux.

Pourquoi avoir choisi de faire de la recherche mêlant économie et environnement ?

J’ai été très tôt interpelée par les inégalités qu’on peut constater entre les différentes économies. Nous vivons dans un espace limité, avec des connaissances communes, et pour autant nous n’avons pas tous le même niveau de vie. Je trouve assez déroutant de constater la coexistence de niveaux de vies aussi différents, parfois avec seulement quelques kilomètres d’écart.
L’étude des modèles de croissance pose des questions fondamentales sur le développement à long terme. C’est aussi très porteur d’espoir, car elle part du principe que nous avons des outils qui devraient nous permettre de vivre mieux.
La macroéconomie mêle aujourd’hui approche en sciences économiques, en histoire, en démographie, mais aussi les paramètres culturels… Ce n’est pas un domaine étanche, et je trouve très intéressant de faire appel à beaucoup de disciplines très différentes.

Ces enjeux sont particulièrement d’actualité, est-ce que cela a un impact sur vos recherches ?

La question des liens entre santé et environnement est apparue assez récemment dans les travaux des chercheurs, ces 15 dernières années principalement. C’était à la fois une question qui semblait plutôt consensuelle et évidente, mais qui pour autant était assez mal appréhendée par les pouvoir publics. Dans mes travaux, je propose de prendre en compte les interactions entre les différentes politiques économiques, sanitaires et environnementales. Le discours habituel ne considère pas simultanément des différents outils dont disposent les états ; Or, une politique sanitaire seule ne compensera pas les effets délétères de la pollution, et inversement. Ainsi, il faut être capable de jouer avec plusieurs outils de politique économique pour proposer une politique qui a cette double dimension environnementale et de santé. Nos difficultés à conjuguer politique de santé et politique environnementale tiennent certainement en partie aux spécificités de notre système politique mais également aux horizons temporels différents que chacune de ces politiques recouvrent intrinsèquement.
En somme, il y a encore beaucoup de progrès à faire dans ce domaine pour convaincre que les politiques environnementales et de santé, qu’elles soient curatives ou préventives, doivent être complémentaires pour être pleinement efficaces.

Comment voyez-vous vos recherches à l’avenir ? Quel axe souhaitez-vous approfondir ?

Une thématique sanitaire qui m’intéresse particulièrement est celle de la santé reproductive. La dimension démographique est très liée à celle du développement économique, et j’ai envie d’axer mes recherches sur ce sujet. L’environnement dans lequel nous évoluons va impacter directement les dynamiques reproductives et démographiques. Il y a aussi un travail à mener sur la question de la transmission du capital santé et l’exposition à la pollution.
Par ailleurs, j’ai également envie d’explorer la notion d’inégalité. Nous ne sommes pas tous exposés à la pollution de la même manière, l’accès au soin n’est pas non plus le même pour tous. Ainsi, je trouve intéressant de travailler sur la définition de politiques économiques pour réduire les inégalités de santé environnementale.