Hélène Lubrano (biologie)
Hélène LUBRANO est normalienne en biologie à l'ENS Paris-Saclay après une admission via le concours 2ème année en 2020. Sa situation d'handicap ne l'a pas empêchée de mener ses 4 années de diplôme à l'ENS Paris-Saclay pour pousuivre sa thèse en Neurosciences, à l’Institut de Pharmacologie Cellulaire et Moléculaire (Sophia-Antipolis).
Son parcours
Quel est votre parcours à l'ENS Paris-Saclay ?
J’ai intégré l’ENS Paris-Saclay en 2020, au sein du département d’enseignement et de recherche (DER) de biologie. Mon cursus n’a pas été vraiment linéaire. Après une classe préparatoire BCPST au lycée Masséna à Nice, je n’ai pas réussi à intégrer l’ENS en 1A qui était l’école de choix pour la recherche.
À la suite de ma prépa, n’étant pas intéressée par les cursus ingénieurs, j’ai décidé d’intégrer le Magistère de Biologie de l’Université Paris-Saclay, une excellente formation qui m’a permis de découvrir un peu plus les métiers de la recherche et de laboratoire, et de rayer la création de start-up de mes projets de carrière. C’est ainsi que j’ai décidé de passer le concours en 2A, pour avoir l’opportunité de poursuivre mes études dans un cadre propice à l’enseignement et la recherche, avec une sécurité financière.
Pendant ma 1ère année (2A du diplôme), j’ai suivi un M1 Biologie-Santé à l’université Paris-Saclay, avec une dominante biologie cellulaire et physiologie. Au DER biologie, nous suivons un master de l’UPS avec en parallèle une formation renforcée en biologie, bio-informatiques (et anglais évidemment).
En année spécifique (3A), j’ai suivi le Master 2 FESup BGB de l’ENS, parcours enseignement-recherche.
Puis j’ai terminé ma scolarité (4A) avec un Master 2 Recherche "Signalisation Cellulaire et Neurosciences Intégrées" à l’Université Paris-Saclay.
À la suite de mon Master 2 (M2), j’ai commencé une thèse de l’Université Côte d’Azur en Neurosciences, à l’Institut de Pharmacologie Cellulaire et Moléculaire (Sophia-Antipolis), dans l’équipe "Canaux Ioniques et Douleur".
Vous avez suivi un protocole particuliers suite à votre handicap. Souhaitez-vous en parlez ?
Pendant ma licence 3 (L3), j’ai entamé un (lourd) parcours diagnostique à la suite duquel j’ai été diagnostiquée autiste. Cela m’a permis de mettre en place un PAEH, d’abord à l’Université, puis à l’ENS. J’ai été très agréablement surprise par l’accompagnement que m’a proposé l’école, notamment lors de ma demande MDPH qui est un passage obligatoire mais EXTREMEMENT fastidieux pour les personnes en situation de handicap.
Je n’ai jamais ressenti aucun jugement ou remise en cause de mon diagnostique et toutes mes demandes concernant les aménagements ont été acceptées et mises en place très facilement. J’ai également reçu de l’aide de la part du pôle handicap pour toutes les démarches liées au handicap au quotidien, ce que j’ai beaucoup apprécié.
De plus, je pense qu’il est important que davantage d’étudiants dans une situation similaire de handicap, notamment avec des troubles ou handicaps invisibles, s’expriment et portent leur voix. D’une part pour montrer que les accompagnements existent et que, dans un cadre bienveillant et tolérant, on peut vivre une scolarité normale sans problème. D’autre part, pour montrer qu’un handicap n’est pas un frein pour accéder à des formations d’excellence, du moment que nous avons les bons outils et aménagements à notre disposition.
Saviez-vous dès le début ce que vous souhaitiez faire en entant à l'ENS Paris-Saclay ?
J’ai hésité pendant des années sur ce qui me convenait, ayant un profil assez atypique. Toutefois, en entrant à l’ENS, je savais que je voulais travailler dans le domaine de la biologie. Je savais également, par ma L3 au Magistère de Biologie qui offre une formation en partie focalisée sur l’industrie et la création de start-up, que je ne souhaitais pas me diriger vers ces milieux-là.
Cependant, il y avait encore beaucoup d’aspects très flous. Tout d’abord, j’hésitais encore énormément à l’époque de mon entrée à l’ENS Paris-Saclay entre la recherche et l’enseignement supérieur (ou les deux). À ce niveau-là, l’ENS Paris-Saclay m’a beaucoup aidé à faire un (début de) choix en me permettant de discuter avec des personnes issues des deux milieux lors d’un stage de découverte du métier de chercheur (M1), puis en expérimentant ces 2 aspects avec mon année spécifique de parcours en M2FESup (3A).
De plus, j’aime énormément la biologie dans tous ses aspects, du plus moléculaire et fondamental à la physiologie plus intégrée. Il a donc été difficile de faire un choix de spécialisation. À ce niveau, là encore, l’ENS Paris-Saclay a été d’une grande aide. D’une part grâce à la formation dispensée, pendant laquelle j’ai pu continuer à étudier de nombreux domaines de la biologie le plus longtemps possible jusqu’à être en mesure de faire un choix. Puis également grâce aux stages que j’ai pu effectuer pendant ma scolarité, qui ont pu être variés et m’ont permis de savoir ce que j’aimais faire.
Quelle année spécifique avez-vous suivi ?
Lors de ma 2ème année (3A du diplôme), j’ai suivi le M2 FESup "Formation à l'Enseignement Supérieur en Sciences du Vivant BGB" (Agrégation BGB).
Il existe une particularité au sein du DER de biologie concernant ce M2FESup. Nous avons la possibilité de choisir soit un parcours classique "Enseignement supérieur" en vue de passer le concours de l’agrégation ; soit, comme je l’ai fait, un parcours "recherche et enseignement". Ce dernier parcours consiste en 6 mois de préparation aux écrits de l’agrégation, avec des cours magistraux, des TP et des oraux pédagogiques et création de leçons. Puis, au moment des écrits de l’agrégation, au lieu de les passer, nous partons en stage de recherche de 5 mois, évalué sous un format "pédagogique" avec la création d’une UE complète en lien avec le stage.
J’ai personnellement choisi ce parcours car je ne me voyais pas être seulement enseignante. Mais j’hésitais encore entre la recherche pure et l’enseignement-recherche, et c’était donc le parcours parfait pour moi. J’ai énormément aimé cette année. Les 6 premiers mois étaient particulièrement stimulants et intéressants, tant au niveau des connaissances, que de l’esprit critique et des savoirs-faires acquis.
Pour mon stage, je suis partie à l’Université de Cambridge au Royaume-Uni en biologie cellulaire, qui n'était initialement pas mon domaine de prédilection. L’expérience était très enrichissante. Tout ce qui j’y ai vécu m’a beaucoup apporté, que ce soit le format de l’évaluation sous forme d’un exercice de création d’UE, l’expérience de la recherche à l’étranger ou l’expérimentation d’un sujet en autonomie dans un domaine différent des neurosciences.
Souhaitiez-vous dès le début de vos études faire de la recherche ?
Un professeur de lycée en SVT m’avait parlé de la recherche (pas forcément en biologie d’ailleurs) qui permettait d’assouvir mes intérêts pourtant difficilement compatibles (l’écriture et les sciences). Je m’étais renseignée et avais aimé ce que j’avais pu entrevoir de mon petit niveau de terminale. C’était le seul métier dans lequel je me voyais vraiment exercer jusqu’à découvrir l’enseignement-recherche en prépa. En entrant dans le supérieur, je savais donc que je souhaitais faire de la recherche sans toutefois être consciente de tous les aspects de ce métier, que l’ENS Paris-Saclay (et les études supérieures en général) m’a permis de découvrir plus en détails, les bons comme dans les mauvais aspects d’ailleurs !
En quoi consiste votre PhD ?
Je travaille actuellement sur l’effet des lipides (le gras) sur les canaux ioniques et la douleur. Mon sujet exact, avec un nom un peu barbare est "Étude moléculaire et fonctionnelle de la modulation des canaux ASIC par les lipides endogènes et pharmacologie innovante."
Pour faire simple, la douleur est un phénomène de perception neurologique qui est médié par un circuit de neurones spécialisés. L’origine du signal douloureux, c'est l’activation de protéines spécifiques qu’on appelle "canaux ioniques ". Ces canaux peuvent être activés par pleins de stimuli « nocifs » comme le chaud ou le froid par exemple.
Pour l’anecdote, les canaux du froid sont aussi activés par le menthol du dentifrice, d’où la sensation de fraîcheur et ceux du chaud par la capsaïcine, présente dans le piment, d’où l'impression de chaleur ! Ce sont ces protéines qui, lorsqu’elles sont activées, peuvent activer les neurones de la douleur et dire à votre cerveau que vous avez mal. De ces canaux, il en existe pleins (dont certains ont été l’objet d’un prix Nobel, comme quoi !) mais dans l’équipe on se concentre sur ceux qui sont sensibles à l’acidité, qu’on appelle ASIC. On s’est rendu compte qu’en plus de l’acidité, ces ASIC sont capables d’être activés (et donc de générer de la douleur) par des lipides que votre corps produit. Ces lipides et cette activation des ASIC pourrait être à l’origine de douleurs chroniques, notamment les douleurs articulaires (la fameuse arthrose) ou musculaires. Mon rôle pendant ces 3 années de thèse, c’est de comprendre comment la relation ASIC-lipides-douleur fonctionne.
Si j’y arrive, cela permettrait de trouver des traitements sur le plus long terme pour ces pathologies dont on ne dispose aujourd’hui d’aucun traitement et qui touchent pourtant 30% des adultes en France et sont à l’origine de la crise des opioïdes aux États-Unis...
Ce sujet, que j’ai eu la chance d’écrire avec mon directeur de thèse, me paraissait idéal pour répondre à la fois à un enjeu sociétal et sanitaire important et actuel, et à la fois à mes attentes en termes d’envies et d’intérêt. C’est avant tout un sujet de neurosciences mais qui balaye beaucoup d’aspects, du moléculaire à la physiologie avec des perspectives thérapeutiques.
En parallèle de ma thèse, j’essaie de m’investir au maximum pour la transmission des savoirs et l’égalité des chances. En effet, je donne des cours, TP et TD à l’université Côte d’Azur en licence et je fais partie d’associations et d’actions pour promouvoir les sciences et la réussite auprès de publics défavorisés (EmENSip, ZupdeCo, cordées de la réussite).
J’essaie également, à mon échelle, d’œuvrer pour le bien-être étudiant en tant que représentante des doctorant·es de notre école doctorale.
Qu'envisagez-vous de faire plus tard ?
Pour la suite, j’aimerais continuer dans la recherche en neurobiologie. Je pense faire un ou plusieurs post-doctorats avant de tenter les concours de chargée de recherche.
Toutefois, j’aime beaucoup mes missions d’enseignement et les transmissions qui en découlent et j’hésite donc encore un peu à tenter les concours d’enseignante-chercheuse. Ce qui me dirige davantage vers la recherche plutôt que l’enseignement-recherche, c’est que l’on puisse toujours donner quelques cours et s’investir bénévolement en tant que CR alors qu’il parait difficile pour moi de mener les 2 métiers d’enseignante et chercheuse de front, en essayant d’exceller dans les 2 sans pour autant délaisser ma vie personnelle et ma santé mentale.
Pouvez-vous nous dire ce que l’École vous apporte ?
D’un point de vue personnel, l’École m’a apporté du soutien, notamment vis-à-vis de mon handicap, ce qui a été une décharge mentale particulièrement importante. Également personnellement, le soutien financier (qui n’existe par ailleurs pas seulement pour les élèves grâce au PhD Track et aux diverses aides pour l’obtention de logements CROUS, bourses, etc.) m’a permis d’aborder sereinement mes études, ce qui n’a pas de prix. L’école m’a aussi permis de gagner en savoir-faire grâce aux enseignements théoriques, pratiques, et aux divers stages. Mais elle m’a surtout permis de gagner en confiance en moi, ce qui ne parait pas, mais est extrêmement important pour l’entrée dans la vie active post-école. En effet, les petites promotions permettent d’avoir un accompagnement très personnalisé à l’École et des suggestions pour envisager des voix et des expériences originales auxquelles on n’aurait pas pensé de prime abord. J’ai eu l’opportunité de vivre beaucoup d’expériences très enrichissantes et qui me servent toujours beaucoup en thèse, que je n’aurais surement pas vécu sans l’École. De plus, le fait que l’École et le DER nous considère comme des futur·es chercheur·ses et enseignant·es nous permet de ne pas craindre de s’affirmer et de proposer des choses pour créer nos propres opportunités, ce qui n’est pas toujours évident à seulement 24 ans.
Quel conseil pourriez-vous donner aux étudiant·es qui hésitent à venir à l'ENS Paris-Saclay ?
L’École offre de nombreux avantages et perspectives de formation. Elle vous permet même de vous « réorienter » avec une année joker et/ou votre ASP. Que vous soyez d’ores et déjà attiré·es par l’enseignement et la recherche ou que vous soyez encore dans le flou concernant vos objectifs de vie, vous trouverez forcément quelque chose qui vous intéressera et vous décidera à l’ENS Paris-Saclay, du fait de la grande flexibilité et personnalisation de la formation.
Mais surtout, et le plus important, ne vous auto-censurez pas ! Surtout si vous êtes une femme ou en situation de handicap (d’ailleurs, n’ayez pas peur de faire valoir vos aménagements, qui ne sont pas un avantage mais seulement un moyen d’atteindre l’équité).
L’entrée est certes sélective mais peut se faire de pleins de moyens différents. N’oubliez pas que malgré tous ses avantages et sa bienveillance, l’École permet de servir un projet, qui évoluera tout au long de votre parcours, alors gardez en tête qu’il y a toujours d’autres moyens et/ou des passerelles pour y parvenir. En ayant tout cela en tête, il n’y a aucun risque réel (sauf un peu de déception) à se présenter aux concours.
Donc quel que soit votre parcours, n’ayez pas peur de tenter, vous verrez ce qu’il advient ensuite ! D’autant que je suis la preuve que les modalités du concours d’entrée (1A VS 2A), et du parcours antérieur peuvent grandement impacter votre réussite.
Si c’est vraiment l’ENS Paris-Saclay que vous voulez, n’hésitez pas à emprunter des voix plus atypiques et à retenter au moment opportun. Si vous n’essayez pas par peur d’échouer, vous échouerez forcément et quelqu’un d’autre réussira à votre place (et ce n’est pas seulement vrai pour l’ENS Paris-Saclay).