De la matière grise pour économiser sur les matières premières
Votre entreprise se positionne comme la "tour de contrôle pour l’achat des matières premières".
Que proposez-vous exactement ?
L’idée de créer Datapred est née de la conviction que les acheteurs industriels devaient bénéficier du même type de plateforme que celles qu’utilisent les managers de la supply chain, des plateformes qui centralisent et analysent toutes les données pertinentes pour leur activité. Le besoin s’est fait sentir pour trois raisons : les données, les marchés, les contraintes opérationnelles.
D’abord, les acheteurs industriels doivent traiter des volumes très importants de données, des volumes de données internes qui sont contenus dans leur ERP (les niveaux de stocks, les consommations de matières premières, les ordres d’achat historique…). En plus des données internes, les acheteurs doivent traiter des données externes très nombreuses, principalement financières, comme le prix de la matière première concernée ou le prix des matières premières corrélées, ou les indices boursiers des grosses entreprises qui fournissent ce type de matières premières ou qui les consomment… En croissance exponentielle, ces données sont devenues trop massives pour un traitement manuel. Les acheteurs pourraient passer des jours à les traiter sans avoir le temps de réfléchir stratégiquement, de se former, d'élargir leur connaissance du marché et donc d'interpréter. La première chose que fait notre plateforme, c'est de casser les silos qui contiennent ses données, de les regrouper à un même endroit, et de les rendre disponibles pour une visualisation et une analyse continue.
Le deuxième besoin auquel Datapred répond concerne les marchés qui deviennent de plus en plus volatiles. Les processus d'achat ne changent pas forcément, mais pour que les acheteurs puissent se préparer et expliquer leur décision, un soutien quantitatif est presque devenu une obligation. Que ce soit pour l'optimisation tactique à court terme ou la planification stratégique à long terme, la lecture de rapports qualitatifs et périodiques écrits par des consultants ne suffit plus. Donc, Datapred met la puissance du machine learning à la disposition des acheteurs industriels pour anticiper les tendances de prix, pour identifier des facteurs de prix, pour construire des outils de planification, pour mettre au point des scénarios What-If de prix et de marges.
Enfin, le troisième point, c'est que les acheteurs industriels n'achètent pas dans le vide, ils achètent sous contraintes industrielles. Cet aspect a toujours fait partie de la mission des acheteurs de matières premières, mais c’est de plus en plus complexe, parce que les entreprises ne cessent de donner de nouveaux objectifs à leurs acheteurs : la réduction de coûts, l'amélioration de la qualité, la gestion des risques… Les règles de compliance viennent s'ajouter, ainsi que les contraintes liées au développement durable comme la réduction d'émissions polluantes, le taux d'énergies renouvelables utilisées dans le mix énergétique, le taux de matières premières recyclées utilisées… l’ensemble de ces contraintes, potentiellement contradictoires, pèsent de plus en plus sur les acheteurs et il est assez difficile de les réconcilier en temps réel. Datapred comprend un moteur d'optimisation qui permet aux acheteurs de réconcilier ces objectifs. Et on combine cette optimisation avec des analyses et des prévisions de marché. Générer des recommandations d'achat qui soient directement exploitables, cela permet d’augmenter le pouvoir décisionnel des acheteurs.
Qui sont vos clients ?
Nos clients directs sont les départements d'achats de grandes entreprises industrielles (CAC40, SBF120, ou leurs équivalents étrangers) qui achètent de l'énergie (gaz naturel, électricité), des matières premières pétrochimiques et des métaux pour des montants supérieurs à 50 millions d'euros par an. D’expérience, Datapred leur permet d’économiser entre 3 et 5% sur ces coûts : sur ce type de montant, ça commence à faire beaucoup.
La crise sanitaire a-t-elle un impact sur le développement de votre activité ?
Oui, la crise a impacté pour des raisons évidentes les grandes entreprises industrielles et on en a subi le contrecoup. Le lien avec nos clients et nos prospects dans le secteur de l'aéronautique s'est fortement distendu. Néanmoins, les industries dites essentielles (métallurgie et énergie) ont plutôt bien résisté. Cela nous a permis de traverser cette période de turbulences. Et depuis la fin de l'année 2020, on sent une reprise certaine de l'activité et on s'y accroche.
Où en êtes-vous ? Avez-vous des projets de développement ?
Notre stratégie consiste d’abord à consolider notre position sur le marché francophone : nous avons recruté une commerciale dédiée à ce marché, et nous intégrons la Maison RaiseLab, qui est un espace regroupant startup et départements d’innovation de grands groupes. Nous partons ensuite commercialement à l’assaut de l’Europe continentale, et avons recruté un commercial germanophone à cette fin.
Nous continuons également à packager et à enrichir notre produit : nous améliorons l’interface utilisateur en permanence et maintenons une veille agressive sur l’innovation en matière de machine learning spécifique à notre activité.
Avez-vous recruté des normaliens dans votre équipe ?
Après 6 ans d’activité, l’équipe est composée de mathématiciens, de développeurs back end, de chefs de projets et de commerciaux. Nous sommes 16 aujourd’hui et nous serons 18 dans 3 mois. Nous n'avons pas encore d'autres normaliens. Il faut dire qu'ils choisissent plus souvent des carrières dans l'enseignement ou la recherche, plus rarement dans l'entreprise. Une collaboration avec l’équipe de recherche dans laquelle j’ai fait ma thèse (IE Centre Giovanni Borelli, ex CMLA) et des échanges avec d’autres start-up créées par les anciens du master MVA seraient intéressants.
Qu’est-ce que votre doctorat vous a apporté pour réussir votre expérience d’entrepreneur ?
Je dirais que la qualité la plus importante, ce n'est pas vraiment l'habileté technique, même si c'est le socle. Pendant le doctorat, on développe la résilience, la capacité à se remettre en question et à aller de l'avant. On va pouvoir se dire qu'on a déjà été dans des situations où l'incertitude était grande et que finalement on s'en est sorti ; ça aide à prendre un peu de recul. Lorsque l’on crée une entreprise, il faut s'attendre à l'inattendu.
Quel conseil donneriez-vous à un étudiant qui hésite à se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Je le féliciterai pour sa prudence et son humilité. L’entrepreneuriat, c’est une liqueur forte. Un peu d’humilité et de recul aide à gérer la pression. Ce n’est pas non plus une fin en soi : on peut parfaitement s’éclater en entreprise, dans une université, un labo de recherche…
Je lui dirais aussi que l’échec n’est pas une honte, mais qu’on peut limiter ce risque d’échec, en frappant à toutes les portes (académiques ou industrielles), en trouvant un bon associé, de bons collègues, de bons VCs.
Il me semble aussi important, après une formation dans laquelle l’excellence technique est privilégiée par rapport à la communication, d’apprendre à se désinhiber un peu. Je pense que l’on devrait valoriser aussi d’autres compétences, comme la capacité à s’exprimer en public, ou à construire une présentation claire et digeste.
Sous quelle forme accepteriez-vous de participer à un retour d’expérience auprès des normaliens sur le campus ?
Sous toutes les formes possibles, je serais enchanté de faire ça : un échange avec des élèves intéressés par l’entrepreneuriat, la présentation de notre parcours...
D’autant plus que je ne connais pas le nouveau campus et j’aimerais bien voir à quoi cela ressemble.