Entrer dans l’ère de l’Intelligence artificielle
« Nous appliquons une nouvelle génération de technologie d’Intelligence Artificielle qui permet, au lieu de résoudre un seul problème très spécifique très bien, de résoudre tout un spectre de problèmes apparentés, affirme Pierre Manceron, co-fondateur et dirigeant de RAIDIUM avec le radiologue Paul Hérent. Nous développons ce qu'on pourrait appeler de manière assez ambitieuse le GPT41 de la radiologie. La radiologie évolue en effet aujourd'hui vers ce qu’on appelle la médecine de précision : on a besoin du radiologue en oncologie pour identifier un sous-type de cancer du foie, en neurologie pour quantifier l’évolution d’une sclérose en plaques autant que pour qualifier une fracture de l'épaule ». Les enjeux techniques pour être capables d’inventer un outil ultra intelligent et multi-tâches sont très complexes et réclament de faire beaucoup de recherches et d'ingénierie selon Pierre. « Je ne peux pas dire qu'on a réussi, mais cela avance », sourit-il.
Nicolas Mahler a cofondé DATAPRED en 2014, un éditeur de logiciels SaaS pour les industriels acheteurs d'énergie. « On les aide à prendre les meilleures décisions en fonction de plusieurs facteurs : d’abord l’évolution des marchés d'énergie puis les objectifs propres à l’entreprise : durabilité, agenda de production, management du risque, etc. Bref, toutes choses difficilement combinables sur un tableur Excel ! » Cette solution facilite le reporting des acheteurs au quotidien. « Elle est accessible aux personnes qui n’ont pas forcément un background technique et vise à simplifier leurs tâches ». DATAPRED s’est d’abord tournée vers les grandes entreprises industrielles, très énergivores, puis, petit à petit, la solution proposée par Nicolas et son équipe devenant de plus en plus packagée, la startup a pu élargir sa clientèle à de plus petites entreprises, à des sociétés de conseil et à des courtiers en énergie. « Notre solution s’applique également au pilotage d’actifs industriels énergivores, comme des centrales de cogénération ou des stations de recharge pour véhicules électriques par exemple ».
Victor Parpoil, lui, a créé ALLOHOUSTON il y a sept ans avec deux autres fondateurs. « Nous aidons les entreprises à créer leurs outils digitaux pour simplifier leur activité, oublier leur processus, créer de nouveaux services. Nous nous différencions des autres entreprises de services numériques par notre approche « conseil intégré » nous permettant d’avoir des équipes plus réduites ». Autrement dit, celles-ci sont constituées uniquement de consultants-développeurs qui co-construisent le cahier des charges avec leurs clients avec des méthodes issues du Design Thinking. Elles réalisent elles-mêmes des plateformes qui répondent parfaitement aux besoins : traitement de données, reporting, automatisation, calcul, etc. comme par exemple la plateforme conçue de A à Z pour Renault qui gère le reporting des livraisons internationales des automobiles sorties d’usine. « Tout professionnel a vécu au moins une fois dans sa vie l’expérience du consultant qui multiplie les interlocuteurs et du développeur qui ne veut parler à personne ! D’où le nom de notre start up : « Allo » parce que l’entreprise nous appelle pour résoudre son problème, « Houston » parce que nous ramenons le projet digital, souvent satellisé, sur Terre », ironise Victor.
Idée + techno = startup
Les trois entrepreneurs s’accordent pour reconnaître que l’excellence scientifique et technique de la formation reçue à l’ENS Paris-Saclay les a dotés de compétences exceptionnelles, entretenues aujourd’hui au profit de leurs clients. « L’École nous a vraiment transmis cette capacité à résoudre des problèmes et à produire une technologie dans un environnement à la fois complexe, ouvert et passionnant, assure Pierre. L’École considère d’ailleurs que nous sommes tellement bons qu’elle nous laisse beaucoup d’autonomie pendant notre formation. Mais pour être tout à fait franc, ce n’est pas suffisant pour s'attaquer à un secteur professionnel, poursuit-il. Les trois alumni ont donc complété leur formation initiale. « Créer une startup, c’est toujours assembler une idée et une technologie », soutient le fondateur de RAIDIUM, qui se retrouve en stage de fin d'études dans une entreprise de recherche médicale, Owkin, hésitant à s’engager dans une thèse en robotique après son Master 2 de Mathématiques à l’ENS Paris-Saclay. « Cette entreprise m'a apporté l’expertise médicale et a, in fine, transformé mon envie d’entreprendre en conviction . Elle a m’a aussi permis de rencontrer mon associé ! »
Nicolas confirme : « ma thèse (dirigée par Nicolas Vayatis et Stéphan Clémençon, soutenue en 2012 au Centre Borelli) m’a procuré une formation de haut niveau, très exigeante sur le plan technique. J’ai continué à développer mes algorithmes jusqu'à trouver une magnifique solution technique me convainquant qu’elle suffirait à me lancer dans l’aventure entrepreneuriale, se souvient-il. J’étais sans doute un peu naïf, on découvre qu’une technologie ne fait pas le produit précisément lorsqu’on fonde sa startup ». Victor, quant à lui, s’est rendu compte pendant sa formation en Sciences pour l’ingénieur à l’ENS Paris-Saclay (Mécanique des Matériaux et des Structures) que la recherche ne correspondait pas à son tempérament. Il décide de compléter sa formation avec un MBA au Collège des ingénieurs à Paris, en alternance à la direction Recherche & Développement d'Areva pendant une année. Après une première expérience de trois ans dans une startup, il décide de créer la sienne avec trois anciens camarades de son MBA.
Révolutionner le monde professionnel
« Nous avions envie de révolutionner la façon dont les projets digitaux sont menés et la manière de les vendre aussi » ! s’exclame Victor qui se souvient de cette période teintée d’enthousiasme, d’amitié et de liberté. Dès le départ, nous avons bousculé les usages des Entreprises de Services Numériques (ESN). Pour éviter les pertes de valeur entre le développeur et l’utilisateur, la même équipe intervient d'un bout à l'autre de la chaîne. Et contrairement aux usages du secteur, nous proposons des forfaits : lorsqu’on arrive à la fin du budget prévu, pas besoin d’en rajouter pour terminer la mission » atteste le fondateur d’ALLOHOUSTON.
Alors que Victor développe ses outils au fur et à mesure et constitue une bibliothèque de briques technologiques assemblés « comme des legos », Pierre demeure très proche de la R&D (notamment pour l’usage des supercalculateurs tel que Jean Zay) pour perfectionner son produit et être à la hauteur de l’ambition de RAIDIUM de figurer parmi les meilleurs du monde dans les technologies de machine learning appliquées à la santé. Cette hybridation public/privé est selon lui une spécificité européenne. « Un Américain aurait tendance à mettre le tout dans une seule entreprise privée, un peu secrète, avec beaucoup de financements et de recrutements. Nous, nous avons plutôt tendance à évoluer dans un écosystème de recherche tout en restant une entreprise connectée avec le monde. Nous sommes par exemple en étroite collaboration avec l’ENS-Paris-Saclay, CentraleSupelec et son incubateur 21st, l’incubateur Paris Biotech santé à l’hôpital Cochin, le supercalculateur Jean Zay du CNRS, le Centre Cardiologique du Nord ou encore l’hôpital Beaujon. ». Idem pour Nicolas, qui revendique pour DATAPRED une ADN « très tech ». « Le deuxième co-fondateur, Thomas Oriol, dirige notre bureau à Lausanne et bénéficie de l’environnement innovation du campus de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) ».
Montrer le chemin aux startuppers en herbe
Nicolas explique quant à lui que le produit développé par DATAPRED est aujourd’hui bien packagé. Il peut compter sur une quinzaine de personnes dans son équipe pour porter aujourd’hui les efforts sur le marketing de son produit. « Nous avons l’ambition de le vendre d’abord en Europe continentale avant de l’essaimer dans le monde entier », atteste-t-il. « Le point crucial est de s'assurer du meilleur product market fit2 », confirme Pierre. Victor, quant à lui, poursuit deux objectifs : prospecter de nouveaux clients et développer l’équipe pour avoir un impact de plus en plus important chez leurs clients.
Ont-ils tous trois l’intention de recruter des normaliens ? « Bien sûr ! », répondent-ils en chœur. « Nous recherchons des personnes dotées d’une excellente formation académique qui permette de comprendre les problèmes dans le monde « réel ». Mais elle ne fait pas tout, il faut aussi un peu de passion. Les profils des diplômés de l’ENS Paris-Saclay en font évidemment partie ». De ce point de vue, nos trois entrepreneurs apprécient beaucoup les rencontres entre alumni et le renforcement récent des partenariats de l’ENS Paris-Saclay avec les industriels. Que dire aux futurs normaliens tentés par l’aventure entrepreneuriale ? « Que c’est génial de pouvoir vivre de sa passion, répond Nicolas qui avoue avoir été très impressionné par l’audace de jeunes normaliens qui se lancent dès leur sortie de l’École. La relève est donc déjà là.
1GPT-4 est un modèle de langage multimodal, de type transformer génératif pré-entraîné capable de traiter aussi bien texte et image, développé par la société OpenAI et sorti le 14 mars 2023, il succède à GPT-3
2Rencontre (parfaite) entre un produit et son marché