Créer un pont entre le virtuel et le réel
Bilan après 6 années d’activités : une levée de fonds de 500 000 euros, un chiffre d'affaires en croissance régulière (400 000 euros en 2020) et 12 personnes salariées.
Interview avec Florent Mathieu et Renaud Gras
Vous avez créé EikoSim il y a 5 ans. Que faites-vous exactement ?
EikoSim valorise des technologies développées à l'École. Nous aidons les industriels à faire le lien entre les simulations numériques et les essais physiques réalisés pour vérifier la robustesse d'un prototype. Nous travaillons essentiellement pour l'aéronautique, le spatial, la défense et l'automobile. L'objectif est d'améliorer la performance. Nous intervenons soit en phase de conception de pièces, soit en phase amont de R&D pour tester différentes technologies.
Sur le e-taxi de Safran, longtemps avant la conception de la pièce elle-même, les ingénieurs testent différentes technologies permettant de mettre en œuvre le petit moteur électrique situé dans la roue d'un avion pour faire circuler l'avion sur le tarmac sans allumer les réacteurs de l'avion. Ils cherchent par exemple le type d'engrenage le plus adapté et vont utiliser nos solutions pour valider ces technologies.
Quelle est la valeur ajoutée de votre solution ?
Aujourd'hui, il manque encore des ponts entre le monde de la simulation et celui des essais physiques. EikoSim aide à lever les contraintes de l'opérationnel. L'ingénieur a besoin d'avoir une communication plus rapide entre les essais et les simulations, et, pour pouvoir prendre des décisions en phase de conception, il doit avoir confiance dans ces simulations. Cette communication peut être et doit être améliorée, en particulier pour des questions de coûts, car une simulation coûte beaucoup moins cher qu'un essai. Et ce que l'on essaie de faire, c'est d'assurer une continuité numérique entre les simulations et les essais.
Comment l'idée de créer cette entreprise a-t-elle germée ?
La particularité du LMT, c'est qu'il a des liens très forts avec l'industrie. Donc les projets sur lesquels on travaillait pendant notre thèse et notre post-doctorat étaient des projets industriels. Il y avait une part de recherche fondamentale, mais beaucoup de recherche appliquée. Cela nous a confronté aux problèmes rencontrés par les ingénieurs, qui n'étaient pas les questions sur lesquelles on travaillait au début, mais petit à petit on a eu envie de leur donner accès à une technologie qui réponde à une partie des problèmes pour qu'ils l'utilisent eux-mêmes. Notre défi était de valoriser la technologie pour en faire un prototype puis un produit. On exploite un brevet déposé par nos directeurs de thèse François Hild et Stéphane Roux. Ils ont fait le lien entre des mesures optiques réalisées à partir de caméras et le maillage, qui est l'objet virtuel du modèle de simulation dont je parlais tout à l'heure. C'est le cœur de notre logiciel qui apporte beaucoup de valeur, et aujourd'hui on construit un éventail de solutions autour.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
On a profité de l'environnement du plateau de Saclay. Nos projets en post-doctorat s'y prêtaient bien et nous ont laissé le temps de murir le projet. La SATT Paris-Saclay nous a accompagné pour la maturation et la levée de fonds. On a suivi une formation Challenge + à HEC qui nous a bien aidé. On a gardé notre esprit chercheur, mais en complétant avec des compétences d'entrepreneuriat, afin de marcher sur nos deux pieds. Pas de choc de culture, ça a été très fluide.
J'ai remarqué que la parité était strictement respectée dans votre équipe ? Quel type de profil avez-vous recruté ?
Oui, hormis l'équipe de direction, la parité est respectée. Myriam Berny, ingénieure recherche et développement, vient également de l'ENS Paris-Saclay, puisqu'elle y a effectué son doctorat de mécanique. On est réparti en 3 équipes. La première s'occupe du développement informatique, une équipe études - constituée de gens avec des compétences en ingénierie mécanique - accompagne les clients sur la solution logicielle, et enfin l'équipe marketing a des compétences commerciales et aussi mécaniques pour être en mesure d'expliquer la solution aux clients.
Quels sont vos prochains challenges ?
Après avoir commencé sur le marché de l'aéronautique, on essaie de se diversifier en explorant le marché de la défense. Avec la maturité et au travers de nos échanges avec les potentiels clients, on a identifié un besoin d'amélioration de la qualité. On est revenu vers le laboratoire avec un financement pour qu'un post-doc travaille sur l'enrichissement de la solution et plus particulièrement sur une problématique d'étalonnage de la caméra.
Que vous a apporté votre formation normalienne pour réussir votre expérience d’entrepreneur ?
J'ai un copain qui disait en thèse "faire de la recherche, c'est se confronter chaque jour à sa propre incompétence", c'est un peu la même chose pour l'entrepreneuriat. Au début, c'est un univers que l'on ne connait pas et on doit apprendre à le découper en petits morceaux pour essayer de creuser. On a continué à utiliser les qualités développées en doctorat en traitant des questions RH, financières, etc. C'est ce qui permet aux normaliens d'apporter une touche personnelle par rapport à des gens qui sortiraient d'une école de commerce. Le fait que les fondateurs connaissent la technologie en profondeur, cela plait beaucoup aux investisseurs.
Avez-vous un conseil pour un étudiant qui hésiterait à se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Lancez-vous ! Si on m'avait informé des étapes que j'ai dû traverser, je ne me serais peut-être pas lancé. Mais aujourd'hui je trouve que c'est une super expérience. J'aurais toujours confiance en un normalien qui a l'idée de se lancer dans la création d'une entreprise, parce que ce n'est pas la voie classique. Cela veut dire qu'il a réfléchi à son projet. Mon conseil serait d'aller se confronter aux futurs clients, sans leur mettre les mots dans la bouche ; de bien écouter leurs douleurs pour bien comprendre les questions qui se posent de leur point de vue. Et ce d'autant plus, lorsque l'on sort d'un laboratoire, parce qu'une belle techno ne va pas forcément avoir un impact dans la vie de quelqu'un. Il faut faire le lien entre la techno et ce qu'elle peut apporter à la personne.