Contact
henri.berestycki [at] ehess.fr (Henri Berstycki - EHESS)
benoit.desjardins [at] ens-paris-saclay.fr (Benoît Desjardins - ENS Paris-Saclay)
Bibliographie

“Plateaus, Rebounds and the Effects of Individual Behaviours in Epidemics”. Scientific Reports, Henri Berestycki, Benoit Desjardins, Bruno Heintz, Jean-Marc Oury.

Épidémies, rebonds et effets des comportements individuels

Plateaux, rebonds et effets des comportements individuels dans les épidémies
Un groupe de mathématiciens mène une étude sur les plateaux, rebonds et effets des comportement individuels dans les épidémies.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, on observe des plateaux au cours desquels les différentes données épidémiologiques, en particulier l’estimation du taux d’incidence de la maladie, varient assez peu en comparaison avec les périodes de croissance exponentielle.

Plateaux, rebonds et effets des comportements individuels dans les épidémies

Pourquoi et comment de tels plateaux peuvent- ils apparaître alors que les modèles classiques prédisent des phases de croissance suivies de phases de décroissance toutes deux exponentielles ?

Faut-il y voir les effets des mesures réglementaires prises par les gouvernements, ou encore la résultante de processus sociologiques ou psychologiques de différentes natures ?

Les rebonds observés proviennent-ils de nouveaux variants ou coïncident-ils avec un relâchement de ces mesures ?

C’est à ces questions que s’est attaqué un groupe formé de mathématiciens issus d’unités de recherche du CNRS, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) - Centre d’analyse et mathématique sociales, et à l’École normale supérieure Paris-Saclay, avec des chercheurs fondateurs de la société Geobiomics.

Une fiabilité et précision expérimentales inédites en matière épidémiologique

Cette étude repose à la fois sur des données d’observations originales et sur un nouveau modèle mathématique.

Signée par Henri Berestycki, directeur d’études à l’EHESS, Benoît Desjardins, chercheur associé à l’ENS Paris-Saclay et Bruno Heintz et Jean-Marc Oury de la société Geobiomics, L’article est sous strict embargo jusqu’au 15 septembre 11h, heure française, heure à laquelle il sera publié en ligne dans Scientific Report.


Les observations proviennent des mesures effectuées par IAGE (Geobiomics) dans les eaux usées du bassin de Thau en collaboration avec le Syndicat Mixte du Bassin de Thau (la communauté des communes concernées). Issues de prélèvements en amont de quatre stations d’épuration (Sète, Mèze, Pradel-Marseillan et Frontignan), ces mesures visent à déterminer la concentration du virus dans les eaux usées. La méthode de mesure développée par IAGE est originale dans ce contexte. Elle assure aux données obtenues une fiabilité et une précision expérimentale inédites en matière épidémiologique.

La régularité de ces mesures hebdomadaires sur six mois aux mêmes points de prélèvement, leur précision et leur seuil de détection très bas confèrent à ces observations un caractère d’expérience naturelle. Elles mettent en évidence la formation de plateaux suivant l’amorce d’une décroissance et une petite oscillation qualifiée de shoulder (forme en épaule) qui la précède. La même dynamique est observée dans deux groupes de villes mais avec un décalage temporel de deux semaines. Cela permet d’éliminer divers facteurs, comme les effets de la politique sanitaire (uniforme dans la région considérée).

Mesurer la présence du virus dans les eaux usées

Observable avant les signes cliniques, la présence de virus dans les eaux usées permet d’anticiper l’apparition de la maladie et de suivre en temps réel sa dynamique.

La détection dans les eaux usées échappe à de nombreux biais, notamment ceux qui apparaissent dans la collecte des données et dans les repères statistiques habituellement utilisés (cas déclarés, hospitalisations, réanimations, décès). Par exemple, le taux de mortalité, souvent utilisé, évolue au cours du temps en raison des progrès médicaux dans le traitement des malades ou l’évolution des tranches d’âge dans la population infectée. De surcroît, les eaux usées repèrent aussi bien les asymptomatiques que les individus symptomatiques.

Les mesures dans les eaux usées ouvrent des perspectives scientifiques considérables. Elles peuvent donner par exemple des informations très détaillées sur la circulation spatiale du virus. Les progrès en précision et en simplicité (donc en coût) permettent de mettre en évidence des éléments spécifiques des épidémies qui, à leur tour, peuvent conduire à des modèles plus réalistes et précis.


Pour expliquer la formation de ces plateaux, tels qu’observés dans le bassin de Thau, Henri Berestycki et ses co-auteurs proposent un nouveau modèle mathématique.

Dans l’approche classique qui divise la population en individus susceptibles, infectieux et immunisés, ils introduisent des facteurs d’hétérogénéité des comportements plus ou moins risqués des individus susceptibles d’être contaminés. En outre, ces comportements varient aléatoirement d’un jour à l’autre. Cette représentation de la population en introduisant une hétérogénéité et une variabilité des comportements face au risque de contamination apparaît beaucoup plus réaliste que dans les modèles classiques. La variabilité des comportements introduit ainsi une forme de diffusion sociale. Ce modèle a été testé et validé sur les données du Bassin de Thau qu’il réussit à reproduire avec grande précision.

Conclusions de l'étude

Les auteurs démontrent que la prise en compte de ces éléments conduit naturellement à la formation de plateaux, d’épaules et de rebonds.

Ce travail met ainsi en évidence une dynamique intrinsèque de l’épidémie qui conduit à des formes complexes de dynamique même en l’absence d’autres facteurs (politiques, climatiques ou de variants). On comprend mieux ainsi la formation de plateaux qui résulte de l’intégration au sein d’un même jeu d’équations de l’hétérogénéité des comportements et de leur variabilité. Cette combinaison génère un flux d’individus non encore infectés qui adoptent aléatoirement des comportements plus risqués et viennent ainsi “alimenter” en continu l’épidémie, au-delà de ce que prédisent les modèles classiques.
Au carrefour de la biologie, de la médecine, des sciences sociales et des mathématiques, l’épidémiologie est un champ pluridisciplinaire par excellence. Ce travail qui s’appuie sur des mesures biologiques innovantes et sur la prise en compte dans un nouveau modèle mathématique de l’hétérogénéité et de la variabilité des comportements humains en est la parfaite illustration.