Les surprenantes nuances des violets de Robert Delaunay dévoilées

L’Autoportrait (1906) et le Paysage au disque (1906) de Robert Delaunay
L’Autoportrait (1906) et le Paysage au disque (1906) de Robert Delaunay
Afin de mieux comprendre les matériaux de la palette de Delaunay, notamment ses pigments violets à base de cobalt, le laboratoire de Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (PPSM - ENS Paris-Saclay/ CNRS /Université Paris-Saclay) a bénéficié d’un projet Cofund Marie Skłodowska-Curie / Région Île-de-France et initié une collaboration internationale avec les scientifiques de plusieurs instituts européens de Belgique, d’Italie, des Pays-Bas et de France (Université d’Anvers, CNR-SCITEC, Université de Pérouse, Rijksmuseum, IPANEMA).
Les résultats, publiés dans la revue JACS, pourraient aider les restaurateurs à préserver la richesse des palettes des maîtres modernistes et à élargir notre compréhension de leur art.

La peinture de Robert Delaunay

Robert Delaunay (1885-1941) est un peintre emblématique du XXe siècle. Avec sa femme Sonia Delaunay, il est le fondateur et le principal artisan du mouvement orphiste, nom inventé par Apollinaire associé à une tendance du cubisme, au début du XXe siècle. Par un travail précis de l'agencement des couleurs sur la toile, il cherche l'harmonie picturale et la vibration parfaite.

La révolution industrielle, et en particulier le développement de la chimie de synthèse, ont bouleversé le monde de la peinture. Une palette de couleurs sans précédent s’ouvre aux artistes. Suite à la synthèse accidentelle de la mauvéine par le chimiste Henry Perkin en 1856, le violet devient l'une des couleurs les plus en vogue. Une multitude de pigments et colorants violets voit alors le jour, démultipliant soudainement la variété de nuances colorées disponibles chez les marchands de couleur du début du XXe siècle.
Mais qu’est-ce qui donne à ces violets leur éclat si particulier ? Une équipe interdisciplinaire de scientifiques a mené l’enquête en combinant chimie, physique et histoire de l’art.

Des couleurs uniques liées à d’infimes variations chimiques

Cette équipe interdisciplinaire de chimistes, physiciens, conservateurs et restaurateurs a mené plusieurs campagnes in situ d’analyse chimique des chefs d’œuvre de Delaunay conservés au Musée national d’art moderne au Centre Pompidou à Paris.

En combinant notamment l’imagerie structurale à l’échelle macroscopique avec des analyses à l’installation européenne de rayonnement synchrotron ESRF (Grenoble) de microéchantillons prélevés sur les peintures, cette équipe pluridisciplinaire a mis en lumière l’utilisation par Delaunay de différents pigments minéraux violets à base de cobalt, associées aux multiples teintes de mauves employées.

Les scientifiques se sont concentrés sur deux familles principales de pigments : les phosphates et les arséniates de cobalt. À l’Institut de recherche de chimie de Paris (CNRS/Chimie ParisTech/PSL), les chimistes ont synthétisé ces composés et étudié leurs propriétés optiques par spectroscopie. Les résultats montrent que c’est l’environnement des atomes de cobalt de ces pigments qui influe directement sur leur couleur, conduisant à des teintes du rose au violet profond en passant par le bleu.

Ces analyses au laboratoire ont été complétées par l’étude de deux œuvres de Delaunay, L’Autoportrait (1906) et le Paysage au disque (1906), conservées au Centre Pompidou.
Les fragments prélevés ont révélé une utilisation précise et ingénieuse des pigments : Delaunay utilisait une gamme étendue de composés, comme un arséniate de cobalt contenant du magnésium, connu sous la désignation "violet Roberson", ou encore des formes hydratées de phosphates de cobalt, pour obtenir des nuances de violet très variées et subtilement différentes.

Au-delà d’un nouvel éclairage sur l’œuvre de Robert Delaunay, cette étude pose des questions fascinantes sur la vitesse avec lesquelles les nouvelles voies de synthèses ont conduit à des produits employés par les artistes et la démarche artistique du peintre à la recherche de nouvelles sensations colorées.

Les résultats, publiés dans le Journal of the American Chemical Society (JACS), permettent de mieux comprendre les recettes de fabrication et propriétés des matériaux artistiques modernes