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Pierre.AUDEBERT [at] ppsm.ens-paris-saclay.fr (Pierre AUDEBERT)

Un révélateur d'empreintes digitales

Laurent Galmiche et Pierre Audebert
Laurent Galmiche et Pierre Audebert
Les chercheurs du Photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires (PPSM), Pierre Audebert et Laurent Galmiche, ont développé un révélateur d'empreintes digitales mondialement utilisé, le Lumicyano™. Retour sur leur parcours et leur découverte dans l'interview accordé par le CNRS en mai 2022.

Pierre Audebert et Laurent Galmiche ont mis au point un révélateur d'empreinte digitale utilisé, aujourd'hui, dans le monde entier en partenariat avec la start-up Crime Science Technology
Dans leur chapitre : "la fluorescence au service de la police scientifique" du livre Étonnante chimie " sous la direction de Claire-Marie Pradier, ils reviennent sur la genèse de ce projet, leur partenariat avec la start-up, le principe d'utilisation de leur produit (LumicianoTM) et les spécificités du travail avec la police scientifique.

Interview du CNRS

Elle est publiée sur le site Internet de l'Institut de Chimie du CNRS.

Un des anciens doctorants de Pierre Audebert a été embauché dans la police nationale. Son supérieur cherchait de nouveaux colorants pour dévoiler les empreintes digitales invisibles à l’œil nu, ou présentes sur des surfaces d’une même couleur que l’agent révélateur. Pierre Audebert s'est rendu au laboratoire de la police scientifique avec deux échantillons conçus par son équipe. J’ai lancé une expérience qui a marché le jour même. Ils ont été ensuite contactés par un ancien technicien de la Police scientifique qui venait de créer une start-up : Crime Science Technology.

Pourquoi ce révélateur d'empreintes digitales a boulversé les techniques des polices scientifiques ?

Pierre Audebert – Avant, la révélation des empreintes les plus discrètes se faisait en deux étapes. On plaçait l’objet dans une enceinte où du cyanoacrylate, la même molécule que la superglue, était vaporisé sur sa surface pour former un solide blanc au niveau de la trace de doigts. Les contrastes n’étant parfois pas suffisants, il fallait ensuite l’asperger avec une solution d’un composé fluorescent pour que l’empreinte soit exploitable.

Avec la société CST (Crime Science Technology), nous avons développé le Lumicyano™. C’est le nom commercial d’une molécule, de la famille des tétrazines, qui se mélange directement au cyanoacrylate avant sa vaporisation. Après révélation de l’empreinte digitale et si le support est blanc comme le cyanoacrylate, un coup de lampe UV fait briller l’empreinte en jaune pour la rendre plus visible. Avec une étape en moins pour les techniciens, le Lumicyano™ s’est très vite imposé auprès de la police et de la gendarmerie françaises ainsi qu’à l’international.

Laurent Galmiche – Nous avons depuis lancé le projet ANR CYANOSPRAY en collaboration avec le SNPS[1] et l’IRCGN[2]. Nous voulons remplacer l’étape de vaporisation du Lumicyano™, qui ne peut se faire qu’en laboratoire dans un équipement dédié, par la pulvérisation d’une solution de bore-dipyrrométhene (bodipy), un colorant dit π-conjugué qui compte parmi les molécules à la plus intense fluorescence connue. À terme, nous voulons que les techniciens de terrain disposent d’un spray pour traiter de grandes surfaces, directement sur les scènes de crime.

Pour un chimiste, quelles sont les spécificités du travail avec la police scientifique ?

Pierre Audebert – La justice est un environnement complexe, il est facile d’oublier des lois et leurs détails. Des innovations ont dû être abandonnées dans certains pays, car elles étaient trop difficiles à mettre en place en accord avec la réglementation.

Laurent Galmiche – Les nouvelles méthodes doivent s’insérer dans toute une chaîne de révélation des preuves. On ne peut par exemple pas badigeonner un produit sur des empreintes s’il perturbe les analyses ADN. Et on ne change pas comme ça les protocoles, qui ne doivent pas être plus compliqués que les précédents.
Le Lumicyano™ offre le gros avantage de ne pas modifier la température de chauffage du cyanoacrylate, ce qui fait que les techniciens n’ont pas besoin de nouvelles habilitations pour le manipuler et il n’est pas nécessaire de modifier les équipements existants. Enfin, les méthodes et les produits doivent être absolument inattaquables par des avocats lors d’un procès, sinon tout le travail aura été mené pour rien. Nous devons donc nous assurer que les procédés sont parfaitement fiables et reproductibles.


[1] Service national de police scientifique.
[2] Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale.

 

Le projet ANR Cyanospray qui a suivi le développement et la commercialisation du Lumicyano est une collaboration entre l'ENS Paris Saclay, le SNPS, l’IRCGN mais aussi la société CST et le LCMCP.