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Vers une meilleure reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société

Rapport : Recommandations pour la reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société
En France, le doctorat reste insuffisamment valorisé hors du monde académique, alors même qu’il constitue un levier majeur pour l’innovation et la compétitivité des entreprises. Le rapport de Sylvie Pommier et Xavier Lazarus, commandé par les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de l’Industrie, propose des recommandations ambitieuses pour améliorer la reconnaissance du doctorat et renforcer ses impacts dans l’économie et la société française.

Un contexte en évolution mais des défis persistants

Avec seulement 1 % de docteurs dans la population active âgée de 25 à 34 ans, la France se situe en deçà de la moyenne de l’OCDE. Les pays comme l’Allemagne ou les États-Unis comptent davantage de docteurs dans leurs secteurs économiques.
En France, malgré des avancées récentes, les jeunes docteurs peinent encore à s’intégrer rapidement dans les entreprises. Ce constat résulte d’une perception culturelle persistante : le doctorat est souvent perçu comme un diplôme réservé au monde académique.

Changer les mentalités : la clé d’un changement culturel

L’un des axes centraux du rapport "Recommandations pour la reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société" repose sur la transformation culturelle. Cela passe par :

  • La création d’un "Indice d’intensité doctorale" (I2Doc) : cet indicateur mesurerait la présence de docteurs dans les entreprises et les organisations publiques, valorisant leur rôle non seulement en R&D, mais aussi dans des fonctions de direction ou de conseil.
     
  • Une plateforme nationale pour l’emploi des docteurs : inspirée des modèles allemands et anglo-saxons, cette plateforme regrouperait des données sur les carrières des docteurs, leurs débouchés professionnels, ainsi que les opportunités d’emploi. Ces initiatives visent à briser les stéréotypes associés au doctorat et à montrer que les compétences des docteurs peuvent répondre à des besoins bien au-delà du secteur académique.

Une formation en mutation pour répondre aux besoins de l’économie

Le rapport met également en avant l’importance d’adapter les formations doctorales aux réalités du marché. Les recommandations incluent :

  1. Renforcer les liens entre le doctorat et le monde de l’entreprise : Cela passe par des immersions systématiques des doctorants dans des secteurs non académiques, par exemple via des stages ou des missions de conseil.
  2. Promouvoir les parcours pré-doctoraux pour les ingénieurs : En s’inspirant des modèles des écoles universitaires de recherche (EUR), il s’agit d’encourager les étudiants ingénieurs à envisager le doctorat.
  3. Améliorer l’accompagnement des doctorants : En renforçant le rôle des écoles doctorales pour mieux préparer les doctorants à valoriser leurs compétences transversales, comme la gestion de projet ou l’analyse critique.

Reconnaître et valoriser les compétences des docteurs

Une des propositions phares concerne la révision du crédit d’impôt recherche (CIR).
L’objectif est de reconnaître explicitement la valeur ajoutée des docteurs dans les activités de recherche et d’innovation des entreprises. Cela pourrait passer par une simplification des démarches pour les entreprises employant des docteurs, ou encore par un avantage fiscal modulé selon "l’indice d’intensité doctorale".
En parallèle, le rapport recommande de créer un réseau d’ambassadeurs du doctorat pour incarner la diversité des parcours des docteurs et renforcer leur visibilité dans le grand public et les entreprises.

Vers une intégration plus fluide dans les entreprises

Le rapport souligne que les transitions professionnelles des docteurs vers le secteur privé doivent être fluidifiées. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes docteurs, formés dans un cadre académique, se retrouvent confrontés à une méconnaissance des débouchés et des attentes des entreprises. Des mesures comme la systématisation des immersions professionnelles pendant la thèse, ou encore la valorisation des compétences transférables des docteurs, visent à réduire cet écart.

Un enjeu national pour l’innovation et la compétitivité

Les auteurs du rapport insistent sur l’importance stratégique de ces transformations. Le doctorat, en formant des experts capables de résoudre des problèmes complexes et de créer de nouvelles connaissances, est un levier essentiel pour répondre aux grands défis sociétaux, technologiques et économiques.
Pourtant, en France, seulement 11 % des chercheurs en entreprise sont docteurs, contre une moyenne bien plus élevée dans les pays de l’OCDE. À travers ces recommandations, la France pourrait rattraper son retard et mieux exploiter le potentiel de ses docteurs.

Une transformation nécessaire et urgente

Le rapport propose une feuille de route claire pour valoriser le doctorat en France, dans les entreprises comme dans la société. À travers un changement culturel, une meilleure coordination nationale et des actions concrètes, il ambitionne de rendre le doctorat plus attractif et mieux reconnu. La mise en œuvre de ces recommandations est essentielle pour renforcer l’attractivité du doctorat et, plus largement, pour positionner la France comme une nation leader en matière de recherche et d’innovation.

Les chiffres-clés du doctorat en France
 
  • 1 % : Part des docteurs dans la population active âgée de 25 à 34 ans en France, contre 1,3 % en moyenne dans l’OCDE et 3 % en Suisse.
  • 11 % : Part des docteurs parmi les chercheurs en entreprise, contre 56 % pour les ingénieurs.
  • 72 % : Proportion de docteurs travaillant dans le secteur académique un an après leur soutenance, réduite à 44 % trois ans après.
  • 43 % : Augmentation du nombre de doctorats délivrés en Chine entre 2011 et 2020, contre une diminution de
  • 17 % en France sur la même période.
  • 80 % : Proportion de doctorants confiants dans leur avenir professionnel lorsqu’ils ont accès à des informations adaptées, contre seulement 40 % en leur absence.
  • 50 % : Objectif d’augmentation du nombre de CIFRE (Conventions Industrielles de Formation par la Recherche) prévu par la Loi pour la Recherche.

Interview de Sylvie Pommier

Sylvie Pommier est Professeure à l'ENS-Paris-Saclay et coordinatrice du doctorat pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP) et de la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) du ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Pourquoi la reconnaissance du doctorat dans le secteur privé reste-t-elle un défi en France par rapport à d’autres pays ?

Dans tous les pays développés, la fin de la croissance démographique s'accompagne d'un ralentissement de la croissance des effectifs étudiants tandis que l'entrée dans l’ère de la société de la connaissance est assortie d'une croissance forte des emplois dans la R&D hors secteur académique. Les débouchés du doctorat se sont donc profondément transformés, sur une période relativement courte et cela n'a pas été complètement intégré dans « l'inconscient collectif ». Ce n'est évidemment pas le cas de tous, mais cela peut aboutir à des déceptions et à des transitions parfois difficiles pour les jeunes docteurs qui privilégiaient uniquement une carrière académique et ne s'étaient pas préparés à d'autres options. Ce n'est pas spécifique à la France, mais en France la reconnaissance du doctorat dans les entreprises pâtit en, en plus, des particularités du système d'enseignement supérieur et de recherche français (universités, grandes écoles, organismes de recherche) qui aboutit à ce que les docteurs ne sont pas nécessairement préférés à des ingénieurs par les entreprises pour occuper les emplois dans la R&D. Mais, cette situation évolue et dépend des domaines, avoir un doctorat est très important pour accéder aux emplois dans la R&D des secteurs de la Chimie ou de la Pharmacie, par exemple.

Pouvez-vous expliquer comment "l’Indice d’intensité doctorale" pourrait transformer la perception des docteurs dans les entreprises ?

Une des difficultés pour améliorer la reconnaissance du doctorat dans les entreprises, c'est que les docteurs ne sont pas identifiés. Les entreprises savent combien elles ont de docteurs dans leurs centre de R&D mais n'ont pas cette information pour les autres secteurs. Cette invisibilisation empêche la reconnaissance de leur potentiel d’évolution professionnelle et de ce qu’ils peuvent leur apporter. Il est difficile d'être reconnu, quand on n'est pas déjà connu. L'objectif de l'indice d'intensité doctorale est d’amener les entreprises à prendre connaissance de leurs trajectoires professionnelles quand ils sont recrutés en dehors de la R&D ou après un passage par un centre de R&D. Pour cela, le calcul de cet indice d’intensité doctorale doit rendre nécessaire l’identification et le suivi des docteurs dans la base RH d'une entreprise et lui permettre de valoriser la présence de docteurs, parmi ses cadres dirigeants, dans son conseil d’administration et plus largement parmi les cadres de tous les secteurs et pas uniquement dans les centres de R&D.

Quelles sont les principales idées fausses que les entreprises et la société française ont sur les docteurs ? Comment les changer ?

Dans les mots utilisés, il y a souvent une confusion entre le doctorat et la thèse (au sens du manuscrit). Et cela est symptomatique d'une première idée fausse qui a des conséquence sur la manière dont est vue leur capacité à s'intégrer en entreprise : la rédaction de la thèse ou d'articles est très loin de représenter l'essentiel du travail d'un doctorant. Oui rédiger la thèse ou des articles est généralement un exercice solitaire (même s'il y a évidemment des échanges avec l'équipe encadrante), mais la rédaction n'arrive qu'après avoir mené des travaux de recherche qui, eux, se font en équipe, dans un collectif de travail et qui demandent des compétences très variées (pas uniquement des compétences de synthèse d'information et de rédaction). La seconde idée fausse, vient des représentations que la société a des chercheurs, surtout dans les domaines qui apparaissent dans la culture populaire. Les docteurs ne sont pas des super-experts dans le domaine de leur sujet de thèse et juste cela. Ils possèdent de nombreuses compétences transposables et transverses qu'il faut mettre en avant. Je donnais l'exemple, dans le rapport, d'un docteur qui a développé des outils numériques originaux pour explorer des collections d'artefacts archéologiques présentant des écritures estampées, outils qui pourraient avoir de nombreuses applications industrielles, sous réserve, toutefois de savoir sortir des préconçus sur ce qu'est un archéologue. Bref, les docteurs ne sont ni des rats de bibliothèque, ni des génies farfelus et inadaptés ! Il y a bien d'autres idées fausses, qui persistent du fait de l'invisibilisation des docteurs dans le monde du travail. Pour faire changer le regard, il faudrait que la société puisse confronter ses représentations à la réalité. En plus de l'indice d'intensité doctorale, nous proposons de mobiliser un réseau d'ambassadeurs du doctorat pour incarner toute la diversité des profils, des parcours et des carrières des docteurs.

Vous proposez de systématiser les immersions professionnelles pendant le doctorat. Quels seraient les impacts à court et long terme de cette mesure ?

Nous proposons d'assurer que chaque docteur ait eu à un moment de son cursus une expérience significative en dehors du secteur académique. Mais pas forcément pendant le doctorat. Cela pourrait passer par des critères pour l'admission en doctorat qui incluent d'avoir déjà eu une telle expérience, par exemple dans le cadre de parcours coordonnés entre master et doctorat. Et si ce n'est pas le cas, de prévoir de le faire pendant le doctorat, avec des missions de conseil et d'expertise (qu'il faudrait considérablement simplifier) ou pendant une césure. Et enfin, à plus court terme, les PUI / SATT, en lien avec les collèges doctoraux, pourraient jouer un rôle dans l'accompagnement de ceux qui soutiennent leur doctorat, sans avoir jamais eu d'expérience professionnelle significative en dehors du secteur académique. Ils pourraient développer, en plus de ce qu'ils font déjà actuellement, une nouvelle activité de transfert, non pas de résultats de recherche, mais de compétences, par la voie de la "consultance DeepTech" (au sens de "issus de laboratoire de recherche"). Cela pourrait permettre une transition plus progressive en proposant des missions de consultants en entreprise à des jeunes docteurs en recherche d'emploi.

Comment convaincre les écoles d’ingénieurs de mieux promouvoir le doctorat auprès de leurs étudiants ?

L'internationalisation y contribue ainsi que les orientations et objectifs donnés par leurs ministères. Mais il faut d'abord les convaincre que le doctorat sera une plus-value pour leurs élèves et une période d'épanouissement. Cela passe par une meilleure reconnaissance du doctorat en général et par une vigilance sur les conditions de déroulement des thèses. Les écoles d'ingénieurs comme l'association des ingénieurs et scientifiques de France nous ont fait des retours alignés sur ce plan. Même si ces situations ne sont pas nécessairement plus fréquentes en laboratoire qu'en entreprise, il faut agir pour mettre fin aux situations de conflit, de harcèlement ou d'autres formes de violences qui font périodiquement l'objet d'articles de presse. Il faudrait également être plus attentifs à la question de la santé mentale pendant le doctorat. Ca ne concerne évidemment pas que les ingénieurs, mais cela nous a été explicitement exposé comme un des obstacles à la poursuite en doctorat des ingénieurs.

Quels bénéfices concrets la plateforme nationale pour l’emploi des docteurs apporterait-elle aux doctorants et aux entreprises ?

Parce que les docteurs ne représentent que 3% des diplômés de l'enseignement supérieur, structurellement, à peine un tiers des doctorants pourra disposer de données sur l’emploi des docteurs pertinentes et statistiquement significatives, fournies par son établissement. Une consolidation au niveau national est donc essentielle. La plateforme devrait d’abord apporter des réponses à des questions pratiques des doctorants et jeunes docteurs (par ex. quel niveau de rémunération viser). Pour les étudiants, il faudrait faciliter la mise en perspective les données sur les carrières des docteurs avec celles des diplômés à Bac+5 afin qu’ils puissent estimer la plus-value professionnelle d’un doctorat dans leur domaine. Pour les employeurs, la plateforme devrait fournir des informations sur les types d’emplois et les carrières des docteurs, dans les entreprises implantées en France, en lien avec le caractère innovant de l’entreprise. Des informations sur les pratiques de recrutement et de gestion de carrière des docteurs de leur « concurrence », nationale ou internationale, seraient également utiles pour qu'elles puissent se positionner par rapport aux autres entreprises dans leur secteur d’activité. Cela peut prendre une variété de formes, des statistiques explorables jusqu'à des témoignages de DRH ou des portraits de docteurs.

Vous suggérez de réviser le Crédit impôt recherche (CIR) pour mieux intégrer les docteurs. Quelles seraient les implications pour les entreprises ?

Il s'agirait de reformuler les critères du CIR pour, sans changer les conditions, faire passer le message que le doctorat constitue une forme de garantie sur la qualité des travaux de recherche menés par les personnels dont les dépenses de personnels sont présentés au CIR. Ensuite, nous avons proposé que l'indice d'intensité doctorale doive être fourni dans un dossier de demande de CIR (ainsi que d'autres demandes de soutien de l'état à l'innovation et la recherche). Cela servirait alors d'incitation à mettre en place cet indice d'intensité doctorale. Enfin, après une période d'observation permettant de faire une étude d'impact, le taux du CIR pourrait être modulé, à moyen constant, en fonction de l'indice d'intensité doctorale pour rendre le CIR plus efficace en le fléchant davantage sur des personnels dont la formation par et à la recherche à été validée par un diplôme. Cela pourrait remplacer l'actuel dispositif "jeunes docteurs".

Les entreprises connaissent mal les compétences transversales des docteurs. Comment les écoles doctorales peuvent-elles mieux préparer leurs doctorants à les valoriser ?

En coopérant davantage avec les entreprises. Les écoles doctorales sont dirigées par des enseignants chercheurs et chercheurs qui, hormis dans les domaines proches des entreprises, ne sont pas nécessairement les mieux placés pour préparer leurs doctorants à bien valoriser leurs compétences transversales auprès des entreprises. Des cabinets de recrutement qui se sont positionnés sur ce créneau peuvent les y aider, mais associer plus fortement les entreprises (comme le font les écoles d'ingénieur) aux activités de l'école doctorale d'appui des doctorants à la préparation de leur devenir professionnel serait déjà un vrai plus. Il faudrait également valoriser et mettre en visibilité les entreprises qui ont des stratégies affirmées de recrutements des docteurs et qui, elles, connaissent bien ces compétences transversales.

Quel rôle jouerait un réseau d’ambassadeurs du doctorat pour améliorer l’attractivité et la reconnaissance du diplôme ?

L'idée serait de créer un titre honorifique d’ambassadeur du doctorat, pour constituer un réseau d'ambassadeurs qui pourraient incarner, à travers la variété de leurs parcours personnels, la qualité et la diversité des parcours et des carrières des docteurs et représenter des entreprises ou des secteurs d'emploi qui cherchent à recruter des docteurs. L'idée serait qu'ils soient proposés au ministère pour cette distinction par l'université qui leur a délivré leur diplôme (comme cela se fait pour le doctorat honoris causa ou d’autres distinctions). Les docteurs sélectionnés pour ce rôle d'ambassadeur s’engageraient, en retour, pendant quelques années (4 ans par exemple), à promouvoir le doctorat dans leur secteur d'emploi, à entretenir les liens entre un secteur d’emploi et leur Alma Mater, à faire l’objet de portraits pour la plateforme nationale du doctorat, à témoigner, à participer aux évènements de promotion du doctorat au niveau national et sur leur territoire, par exemple lors de journées européennes du doctorat, etc.

Si toutes vos recommandations étaient mises en œuvre, quelle transformation espérez-vous voir dans les 10 prochaines années pour les docteurs en France ?

J'espère que dans 10 ans, la reconnaissance du doctorat ne sera plus un sujet et que la coopération entre les secteurs d'emploi et les établissements délivrant le doctorat sera suffisamment étroite pour pouvoir être active et vivante sans incitations ministérielle. J'espère aussi qu'un tiers des personnels de R&D des entreprises seront docteurs (actuellement c'est 11% en moyenne).