Juan Sebastian Carbonell
Juan Sebastian Carbonell

Juan Sebastian Carbonell

Prix du meilleur ouvrage sur le monde du travail

Post-doctorant au GIS Gerpisa et chercheur en sociologie

Le 29 mars 2023, la 13e édition du Prix du meilleur ouvrage sur le monde du travail a récompensé Juan Sebastian Carbonell, post-doctorant au GIS Gerpisa, réseau de recherche international sur l'industrie automobile basé à l'ENS Paris-Saclay et chercheur en sociologie du travail à l’IDHES de l'ENS Paris-Saclay pour son livre "Le futur du travail" (Amsterdam)

Quel est votre parcours ?

Après un master en sciences sociales à l'ENS Ulm et l'EHESS, j'ai soutenu une thèse en novembre 2018 en sociologie du travail et des relations professionnelles à l'ENS Ulm sur les accords de compétitivité dans l'industrie automobile française.
Je suis actuellement post-doctorant au GIS Gerpisa, réseau de recherche international sur l'industrie automobile basé à l'ENS Paris-Saclay, et chercheur rattaché à l'IDHES.

Quels sont vos axes de recherche ?

J'ai tout d'abord mené des recherches sur la négociation collective dans l'industrie automobile française et les effets des nouveaux accords collectifs d'après la crise économique de 2008 sur les conditions de travail.
J'ai ensuite commencé à m'intéresser au changement technologique au travail. L'industrie automobile constituait le terrain parfait pour cela, dans la mesure où c'est une industrie très intensive en capital, avec certains secteur encore très intensifs en travail (assemblage, peinture).

Quel est le sujet de votre livre "Le futur du travail" ? Est-il le fruit d'une recherche particulière ?

Dans mon livre j'essaie de déconstruire les discours omniprésents sur la fin du travail. Ceux-ci sont de deux types.
D’un côté, il y a ceux qui affirment que le changement technologique, notamment la dite "quatrième révolution industrielle", va provoquer un chômage technologique de masses.
De l’autre côté, il y a ceux qui affirment que l’emploi précaire va remplacer le salariat, et notamment le salariat stable. Les formes que prend ce remplacement du salariat stable par du travail précaire varient, mais ces discours s’accordent pour dire que la forme qu’a pris l’emploi pendant les Trente Glorieuses est en train de disparaître.

Je reviens sur ces discours pour montrer, chiffres, données et exemples à l’appui, que les changements dans les mondes du travail ne se trouvent pas forcément là. Ou, du moins, que le changement technologique ne va pas détruire l’emploi, et que la précarité ne va pas remplacer d’aussitôt l’emploi stable. Dans ce livre, je mobilise la littérature en sociologie et en économie du travail, ainsi que mes propres travaux sur l'industrie automobile pour déconstruire ces discours.

Dans votre livre, vous dites que le travail conserve une place centrale dans nos sociétés. Pouvez-vous SVP préciser cette pensée ?

Pour répondre aux discours sur la fin du travail, je reprends une définition contextuelle de celui-ci : à la fois une activité qui produit et reproduit la société et un ordre social incarné dans le salariat.

Premièrement, les conséquences des nouvelles technologies sont multiples, et ne se réduisent pas à de la "substitution" d'un emploi par un robot ou par un logiciel. De plus, les rapports entre automatisation et emploi sont complexes, il faut prendre en compte une multitude de facteurs, comme la destruction, mais aussi la création d’emploi, les délocalisations, les gains de productivité, les nouvelles méthodes de travail, etc.
Par exemple, aujourd’hui dans l’industrie automobile la principale menace pour l’emploi ne sont pas les robots, ou la digitalisation du travail, mais la transition vers l’électrique, vu qu’un véhicule électrique nécessite entre 20 et 40 % de moins de main-d’oeuvre pour sa fabrication. C’est pour cela que quand on parle de "changement technologique" il faut aussi inclure l’architecture des produits, et pas seulement les procédés de fabrication. Ensuite, si l'on prend une définition des machines comme des "artefacts sociaux", on voit bien qu'il y a d'autres effets des nouvelles technologies sur le travail, tels que la déqualifiction, l'intensification ou la perte d'autonomie des travailleurs.

Deuxièmement, je rappelle que les données des statistiques publiques montrent bien que l’emploi stable se maintient dans les pays du Nord, en France, au Royaume-Uni, même aux USA. Il n’y a pas de remplacement du salariat par le "précariat", et même "l’ubérisation" reste aujourd’hui un secteur marginal rapporté à l’ensemble de l’économie et de la population active. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas de changements, on les constate dans la flexibilité du temps de travail, les mauvaises conditions de travail, etc.

En quoi ce prix est important pour vous ?

Ce prix est important parce qu'il permet de rendre visibles les résultats des travaux de sociologie et d'économie du travail, bien souvent cantonnés dans des cercles de spécialistes. Je suis un partisan de la "sociologie publique", c'est-à-dire une science sociale qui dialogue avec des "profanes" et met ses connaissances au service des dominés.

Quels sont vos projets actuels ?

Aujourd'hui je mène des recherches sur la "double transition" – digitale et électrique – dans l'industrie automobile et ses effets sur le travail et les relations professionnelles, dans le cadre d'un projet de recherche européen, BARMETAL. De plus, après avoir travaillé pendant longtemps sur l'industrie automobile, je cherche à diversifier mes objets d'étude en m'intéressant à d'autres secteurs comme la logistique.