Quand l’intelligence artificielle s’invite dans la pub
Portrait d’un entrepreneur à l’ascension fulgurante qui conserve sa passion de l’algorithme et son envie d’entreprendre intactes.
Maths + Ponts et Chaussées + docteur de l’ENS Paris Saclay en machine learning : c’est sans doute l’équation parfaite pour devenir leader de l’achat de la publicité en ligne. Un monde que Rémi Lemonnier découvre un peu par hasard lors de son doctorat au département de mathématiques de l’ENS Paris-Saclay. Il saisit l’opportunité de faire une thèse (CIFRE) et devient salarié de la société 1000 Mercis (aujourd’hui Numberly), spécialisée en marketing digital.
L’algorithme parfait
Le sujet de la thèse portait sur les modélisations d'audience des publicités des annonceurs en ligne. « À l'époque on pouvait encore suivre les historiques de navigation des internautes. Je modélisais donc les cibles à toucher pour leur vendre les produits en ligne, se souvient Rémi. Il s’agissait de résoudre toutes sortes de variables mathématiques et les globaliser pour optimiser les campagnes publicitaires sur Internet. Le contexte est un peu technique, poursuit-il. Les publicités en ligne se font en temps réel via un système d'enchères, comme dans les marchés financiers. Lorsqu’un annonceur a un budget publicitaire à dépenser, il doit établir une stratégie d'enchères prenant en compte un ensemble de variables beaucoup plus larges que l'audience. » Rémi trouve donc l’algorithme parfait, celui qui combine toutes les variables possibles et permet de construire les meilleures stratégies d'enchères personnalisées pour n'importe quel annonceur dans le monde. Il publie également dans les meilleures conférences de machine learning.
Chercheur et entrepreneur : même combat !
Avec un pied dans la recherche et l’autre en entreprise pendant les trois ans de son doctorat à l’ENS Paris-Saclay, Rémi Lemonnier avance rapidement vers la création de sa startup. « Je suis convaincu que la recherche et l'entrepreneuriat ont des similitudes. En premier, le travail en autonomie sur du long terme. En tant que chercheur, vous avez le choix de vous lever tous les matins, ou pas. Personne au-dessus de vous pour vous diriger et vous donner une deadline ! Idem pour le créateur d’entreprise qui doit œuvrer dans le brouillard pendant plusieurs mois en se posant la même question : est-ce que je fais cela pour quelque chose ? »
Chercheur et entrepreneur travaillent également beaucoup et longtemps avant d’avoir un « feedback ». Passé d’un système de cours magistraux où on lui a enseigné un savoir, à un autre où on lui demande d’en produire lui-même, Rémi Lemonnier explique : « La recherche est un peu une école de la confiance en soi. Il existe toujours quantité de gens avec plus d’expérience, de ressources ou de compétences précises sur un sujet. Mais il faut à un moment croire qu’en se concentrant sur un sujet particulier ou en attaquant un problème sous un certain angle, on va être capable d’apporter des contributions originales et se constituer un pré carré dont on va devenir un des meilleurs spécialistes. Lorsqu'on crée un business, il ne faut pas avoir peur de sauter dans l'inconnu sans savoir si cela va aboutir ».
Autonomie et analyse, des qualités transmises par l’ENS
Pour Rémi, cette autonomie et cette liberté sont des facteurs de réussite que l’ENS permet de développer. « L’ENS enseigne un esprit analytique que j'utilise tous les jours. Les normaliens le considèrent comme du bon sens mais en se confrontant à différentes cultures on se rend compte que c’est un avantage distinct du système “grandes écoles” à la française. Bien sûr, on a également beaucoup à apprendre de ces autres cultures comme par exemple des américains sur le sens business». Parmi les autres qualités des normaliens, Rémi cite également volontiers leur capacité à prendre les décisions. « Elle doit évoluer très vite lorsque l’entreprise grandit, note-t-il. L’entrepreneur y réfléchit beaucoup car elle participe de la culture d’entreprise. La décision doit-elle être prise par celui qui parle le plus fort ? Ou par celui qui a le plus d’expérience ? Faut-il les prendre avec une certaine rigueur ? Nous, nous avons vite formalisé le fait de prendre nos décisions de façon décentralisée et en se basant au maximum sur la donnée ».
L’alliance de la pub et de l’IA
Rémi crée Scibids (alliance de Sciences et de Real Time Bidding = enchères en temps réel) en 2016. Développée et entretenue par une équipe de data scientists, la solution unique d’Intelligence Artificielle développée par Scibids se branche sur les principales plateformes d'achat média programmatique du marché et génère des modèles d'enchères précis qui offrent des gains de performance allant de 30 à 70% pour les acheteurs de publicités en ligne, ainsi que la possibilité de personnaliser et d’automatiser l’achat média digital. « Les algorithmes personnalisés peuvent doubler la productivité multimédia du client du jour au lendemain, s’enthousiasme Rémi. « Attention, notre solution ne fait pas de « tracking » personnalisé, tient-il à préciser. Nous nous servons uniquement des jeux de données des annonceurs récoltées lors de chacune de leurs campagnes digitales que nous optimisons ensuite pour en faire des stratégies d’achat adaptées à chacun ». Aujourd'hui, les entreprises ont besoin de personnaliser leurs stratégies publicitaires, au-delà de ce que peuvent leur proposer des solutions toutes faites sur les plateformes d’achat. « Notre succès, c'est qu'on arrive vraiment à personnaliser l’IA pour les objectifs de chaque annonceur en ligne ».
Implanté dans une dizaine de pays, Scibids a connu un développement fulgurant ces dernières années. Elle emploie aujourd’hui 72 collaborateurs. « Quelle que soit la nationalité de l’annonceur, c'est exactement la même chose techniquement : nous offrons à nos clients une solution logicielle mondiale ». Qui sont ces clients ? De grandes enseignes qui communiquent beaucoup en ligne : grandes marques de biens de consommation courante, d’électroménager ou d’informatique ou encore des assureurs. Scibids continue de perfectionner son offre. « C'est assez marrant en fait, confie Rémi Lemonnier. Au tout début, on se demande que faire une fois le produit développé. Et puis on se rend compte en réalité que la quantité de travail fournie pour améliorer la solution grandit de façon exponentielle. Aujourd'hui, je ne cherche pas à anticiper notre roadmap en détail au-delà de quelques mois. Je sais que, quelles que soient les ressources de notre équipe produit, on aura toujours bien plus de sujets importants à traiter que de capacité à les traiter ».
Cherche âme entrepreneuse
Scibids recherche des profils particuliers pour soutenir son développement. « L’excellence de la formation compte beaucoup mais nous recherchons surtout des entrepreneurs dans l'âme, avec un profil certes technique mais surtout l’option « curieux », capable de nous répondre : pourquoi me demandes-tu cela ? Pourrais-je faire différemment et quand même résoudre ta question ? Et par ailleurs, cette production a-t-elle vraiment servie ? Pourrais -je l'améliorer ? Bref, nous accueillons aujourd’hui des gens passionnés qui considèrent Scibids comme leur entreprise », affirme le CEO.
Avis aux candidats potentiels : Rémi avoue pousser le curseur de l’exigence assez loin. « Je préfère attendre, même longtemps, même si c'est frustrant, pour trouver la bonne personne pour le poste ». Il recrute souvent dans les rangs des normaliens, avec lesquels le lien est toujours fort, en particulier les diplômés du centre Borelli qui deviennent ses data scientists. Et il n’oublie pas de verser la taxe d'apprentissage à l’ENS Paris-Saclay, l’École avec laquelle il partage une histoire. « Une façon de rendre un peu de l’éducation que j’y ai reçu … »